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Cage Thoracique
16 octobre 2013

16-10 Penthief

J'ai besoin d'une pensine parce que j'emmagasine des trucs en abondance.

Là, c'est le moment où je me vante d'avoir bonne mémoire. C'est vrai que j'ai des facilités certaines pour retenir des trucs, depuis que je suis gamine. Je me souviens avoir récité des morceaux entiers de livres pour enfants avant de savoir écrire. Je me souviens avoir appris des tirades pour m'amuser. Je me souviens avoir parcouru des demi-douzaines d'articles wikipedia pendant des heures pour en retenir la substance.
C'est très bien me direz-vous, d'avoir une bonne mémoire, et il faudrait que j'arrête de me plaindre parce que Dieu m'a fait une fleur.

Là, c'est le moment où j'explique ce qui cloche avec la mémoire. J'arrive tellement pas à faire taire mon esprit que parfois je me demande si ça serait efficace de se noyer pour obtenir dix minutes de silence. Je ne connais plus le silence parce que mon cerveau fait des mentorrhées, de souvenirs, de chansons, de reproches, de lieux, de voix, de souvenirs, de souvenirs ratés. Je me souviens, et ça m'empêche de dormir, et ça m'empêche aussi de ne pas dormir. Je ne connais plus le silence parce que mon cerveau hurle quand je n'entends rien. Je sors parfois avec un casque vissé sur les oreilles pour ne pas entendre les gens vivre et ne pas garder inintentionnellement leurs fragments dans mon esprit.

Je me souviens de beaucoup de choses mais pas de tout. Je ne peux même pas être qualifiée d'hypermnésique ou d'un autre mot cool, je ne peux pas parler de mémoire eidétique. Donc je suis toujours en train d'oublier potentiellement quelque chose. Je ne peux pas toujours retenir de suite une recette de cuisine ou un cours de géographie. Parfois si, parfois non. Et en même temps, constamment en train de me souvenir d'un tas de choses dont je ne veux pas me souvenir. Je ne veux pas de ces souvenirs, soit parce qu'ils sont inutiles, soit parce qu'ils sont désagréables. Je ne peux pas oublier les détails et je n'ai pas d'excuse pour ne pas avoir anticipé. Alors je dois penser à tout. Je me sens passivement en train de penser à presque-tout alors que je devrais me détendre. Mais je dis bien "presque-tout". 

 

Je ne sais pas si c'est très clair. Je ne sais pas si je fais un peu pitié ou beaucoup, quand je déplore mon brouhaha mental et la foule croissante (croassante?) de mes souvenirs. Mais je garde à l'esprit, mesdames-et-messieurs, les tranches de vie des gens que je croise. Et plus je lutte pour ne pas les garder en mémoire, plus ils s'ancrent profondément dans ma conscience. Cette jeune femme dans un train avec deux enfants, qui jouaient aux voitures, leurs voix, leur jeu, ce mec qui se disputait au téléphone, cette famille brisée qui cassait du sucre sur le dos du père des gosses... Je me rappelle ces histoires d'anonymes, j'ai oublié leurs noms, leurs visages, mais je me souviens de la direction du train dans lequel je les ai entendus, du temps qu'il faisait. Je me souviens d'un nombre désagréable de sentiment d'empathie triste éprouvés pour des enfants qui me semblaient à plaindre. La misère du monde m'attriste, mais j'avoue avoir de temps en temps envie de pleurer pour un souvenir de gosse humilié par son grand père dans une piscine, scène du quotidien occidental, banalité de gens qui partent en vacances, baby-boomers -

Tout est tellement présent et bruyant et pesant que j'ai l'impression de me le reprocher. Tout est tellement présent et bruyant et pesant que je ne peux rien relâcher.

 

Je lis parce que les mots des autres prennent toute la place dans ma boîte crânienne et que ça me fait du bien. Physiquement, je veux dire. J'écoute de la musique en permanence pour avoir un bruit de fond, sous ma conscience, qui ne soit pas mon bruit blanc pénible.

Je dis pénible parce que j'ai une tendance au ressassement, qui se trouve, comme vous pouvez l'imaginer, remarquablement bien desservie par le stock poissonnant de souvenirs. Je me souviens précisément de mes maladresses, des moments où ma voix a flanché, des moments où j'ai été ridicule, des moments où j'ai eu tort, des moments où j'étais laide, des moments où j'avais la tête au dessus de la cuvette après deux kilos de farine mélangée à du lait salé, de tous les jours où je me trouvais transparente, de toutes les occasions d'exister que j'ai ratées. Je me souviens des scénarii que je m'inventais pour remplir le vide intersidéral de ma vie. Je me souviens de la honte. Je me souviens des hontes. 

 

A force de fourmiller, les souvenirs dans ma boîte de cerveau produisent le "white noise" dont on parle dans les média. C'est le mélange d'un tas de fréquences audibles par les humains. A la fin ça grésille et ça doit ressembler, pour l'oreille, à ce que le flou représente pour l’œil. Donc je flotte dans un machin flou alors que des lambeaux de souvenirs s'entrechoquent sonorement partout autour.

 

Désolée. C'est le genre d'article qui fait mériter à ce blog le nom de "ramassis de conneries". J'avais envie d'écrire ça. 

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Commentaires
Cage Thoracique
  • Un vrai détail inutile. Une vraie vérité sans importance. Car il ne faut rien attendre de mieux ici. J'en serai plutôt incapable, et je ne crois pas en avoir réellement envie. Je laisse les choses importantes à ceux qui savent. Qui agissent
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